Vous connaissez toutes Caroline Sinz mais vous avez sans doute oublié son nom. C’est elle, cette journaliste qui avait été lynchée et agressée sexuellement par une meute d’hommes sur la place Tahrir au Caire en 2011. Malgré son traumatisme, elle avait eu le courage de témoigner de l’horreur.
Hier dans son reportage explosif réalisé pour France 2, elle s’est attaquée au tabou des pressions subies par les femmes en banlieue. Harcèlement de rue, cafés interdits aux femmes, censure vestimentaires : dans de nombreux quartiers à forte population arabo-musulmane, les femmes sont de plus en plus rejetées de l’espace public.
Dans une interview pour France Infos, elle revient sur les difficultés qu’elle a rencontrées pour enquêter sur ce sujet politiquement sensible :
Franceinfo : Quelle est la genèse de votre reportage ?
Caroline Sinz : Il s’agit au départ d’une demande de David Pujadas en vue d’un sujet sur les femmes dans l’espace public. Je sais que cette question est délicate. Au fil de mes recherches, j’ai pris conscience que le problème est plus lié à la culture, à la tradition et à la religion quand on est dans certains quartiers.
Mais il faut avoir à l’esprit que les femmes ont des problèmes partout. J’ai moi-même été victime de viol, dans le cadre de mon travail [en Egypte, en 2011]. J’ai vécu ce que vivent de nombreuses femmes victimes de violences sexuelles : on met en doute notre parole, on nous met à l’écart, on nous reproche d’avoir parlé… Mon reportage est filmé dans des banlieues, mais on pourrait aussi parler de certaines campagnes en France.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de votre enquête ?
Lorsque j’ai commencé, j’ai été surprise par le nombre de refus que j’ai essuyés, de la part de femmes qui sont pourtant membres d’associations mais qui n’ont pas envie de passer à la télévision. Elles ont peur, elles ont déjà manifesté dans de nombreuses villes et elles ont été insultées et agressées. Alors pour ne pas subir des pressions ou des menaces, elles se taisent ou s’autocensurent.
J’ai contacté des femmes à Aubervilliers, à Toulouse, des femmes du Planning familial qui m’ont confirmé un recul des droits partout en France… Mais toujours ce refus de parler. Il fallait briser cette loi du silence. Et j’ai fini par rencontrer des militantes de La Brigade des mères à Sevran et des femmes pas encore très organisées dans la banlieue lyonnaise.
Ne craignez-vous pas d’être accusée de dresser un portrait caricatural des banlieues ?
J’espère que je n’ai pas été caricaturale. Je n’ai pas pointé du doigt, j’ai posé les choses. A chacun de se faire son idée. Je ne regarde pas les choses avec une orientation politique mais il fallait dire ‘attention, regardez le sort de ces femmes’. Depuis 2005 et les émeutes des banlieues, les médias y retournent trop peu… Mais la réalité est là. Des femmes de tous les bords politiques, du FN, d’extrême gauche, du PS ou de droite, manifestent et luttent contre la peur pour dénoncer la réduction de leurs libertés.
Je ne suis pas surprise par l’ampleur des réactions. La question concerne beaucoup de femmes, insultées, harcelées, agressées. C’est un sujet quotidien. La liberté et le droit des femmes, les injustices qu’elles subissent, sont toujours des sujets.