La professeur de philosophie Marilyn Maeso recadre l’ex-ministre de l’Education Luc Ferry après ses déclarations beaufissimes sur une femme ayant porté plainte pour viol contre le ministre Gérald Darmanin. Nous partageons ce texte, qu’elle a publié sur Twitter, et nous ajoutons qu’il s’applique également aux personnalités proche du CCIF qui ironisent sur les deux femmes accusant Tariq Ramadan de viol.
« La présomption d’innocence n’est pas un permis de traiter les victimes de viol d’allumeuses ou de connes »
Bon, parlons un peu de la sortie d’anthologie de Luc Ferry au sujet de l’affaire Darmanin. J’imagine qu’un philosophe ne m’en voudra pas de poser quelques questions, et de faire quelques distinctions pour le moins indispensables.
Première question : à quel moment la présomption d’innocence est-elle devenue une excuse pour s’adonner sans vergogne à l’humiliation des femmes et à la culpabilisation des victimes ?
La présomption d’innocence, sauf erreur de ma part, est une garantie, pour l’accusé, de pouvoir se défendre dans un procès équitable. Elle empêche que le lynchage public ne se substitue au tribunal. Ce n’est pas un permis de traiter les victimes de viol d’allumeuses ou de connes.
Première confusion, donc, dans les paroles de l’ancien ministre : passer d’une inquiétude (légitime) pour le respect de la présomption d’innocence à un propos hallucinant consistant à reporter la faute et la responsabilité des agressions sexuelles sur les victimes.
Selon lui, pour « éviter les ennuis » (bel euphémisme pour parler d’un viol), c’est aux femmes de prendre leurs responsabilités en prenant garde de ne pas se retrouver dans une situation de vulnérabilité, ce qui n’est ni plus ni moins qu’une façon de les blâmer.
Pour ce faire, monsieur Ferry pioche allègrement dans un vivier de clichés sexistes qui font depuis toujours le beurre de la culture du viol : si tu fréquentes un « bar à putes », si tu montes dans sa chambre, ne te plains pas s’il te viole, tu l’as un peu cherché.
Sans oublier le fameux « on ne se réveille pas 10 ans plus tard » (sic), qui laisse entendre que si une victime de viol ne porte pas plainte tout de suite, c’est qu’elle n’a pas vraiment été traumatisée et qu’elle ne parle 10 ans plus tard que par dépit, pour des raisons méprisables.
Surprise : ce genre de propos est précisément l’une des raisons qui peuvent pousser une victime à se murer dans le silence. La honte. Elle aurait dû faire attention, « éviter les ennuis », « éviter ce genre de plaisanterie » (sic). Bref : on récolte ce qu’on sème, mademoiselle.
« Ceux qui disent craindre pour le respect de la présomption d’innocence sont les premiers à régler l’affaire publiquement dans leur petit tribunal portatif »
Quoi qu’il en soit de l’affaire Darmanin (ce n’est pas la question), innocent ou coupable, cela ne change strictement rien à la gravité de tels propos. Et au fait qu’un ancien ministre insturmentalisant la présomption d’innocence au service du « victim blaming », ça pose un souci.
Et puisque monsieur Ferry a visiblement du mal à être cohérent avec lui-même, donnons-lui un coup de main. Oui, il faut respecter la présomption d’innocence, laisser la justice faire son travail, et ne pas se substituer à elle. Saut que Luc Ferry fait précisément le contraire.
Commenter à la télévision un procès en cours en blâmant la plaignante (l’histoire de la chambre d’hôtel et du « bar à putes » est une référence directe à l’affaire Darmanin), en lui reprochant d’avoir attendu 10 ans et en l’accusant des pires intentions, c’est jouer au juge.
Tout comme des députés qui se lèvent à l’Assemblée, siège du pouvoir législatif, pour apporter un soutien public à M. Darmanin, c’est une façon d’interférer dans une affaire en cours et ça interroge la séparation des pouvoirs, quand même. Vous vous croyez où, franchement ?
Il y a une enquête en cours, et ceux qui disent craindre pour le respect de la présomption d’innocence et la possibilité d’un procès impartial et équitable sont les premiers à régler l’affaire publiquement dans leur petit tribunal portatif : faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Donc, puisqu’il faut que quelqu’un s’y colle, disons les choses clairement : à moins que M. Ferry et messieurs les députés nous apprennent qu’ils étaient présents dans la salle de bain de cette chambre d’hôtel le 17 mars 2009, qu’ils se taisent et laissent faire la justice.
Il vaut vraiment mieux laisser la justice faire son boulot, en fait. Parce que soutenir, comme le fait Luc Ferry, que dans une affaire d’abus de pouvoir, « au minimum, c’est torts partagés », ça fait peur : la loi dit juste le contraire. Ce n’est pas une affaire d’opinion. Désolée.
« Une femme n’est pas une voiture que vous louez et dont le corps vous appartient dès qu’elle entre dans votre chambre »
Ça, c’est dit. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Parlons-en, de cette histoire de chambre d’hôtel. Franchement, en tant que femme, je ne sais plus où donner de la tête : vous ne voulez pas accorder vos violons une bonne fois pour toutes, dites ?
Non parce qu’il y a quelques semaines, ça hurlait au puritanisme, en proclamant qu’on voulait assassiner la séduction. Et là, on nous explique tranquillement qu’un bar à putes, « c’est pas l’Église, hein ! », et que si on monte dans la chambre d’un homme, on assume. Ok…
J’y tiens, moi, à la séduction. Et là, on réduit les rapports hommes/femmes à un scénario implacable (tu montes dans ma chambre, on baise, ne discute pas), là où il y a une multiplicité de raisons possibles pour monter dans la chambre d’un homme.
Discuter (toute la nuit, même !) , s’embrasser (et c’est tout. On appelle ça « y aller doucement » : je croyais que c’était les féministes qui tuaient la romance…), regarder un film, travailler : j’ai fait chacune de ces choses. On est censées pouvoir vous faire confiance, non ?
Ça rime à quoi d’accuser les féministes de faire passer tous les hommes pour des porcs ou des agresseurs en puissance si c’est pour suggérer ensuite que les hommes ne savent pas se tenir, qu’on ne peut pas leur faire confiance, et que si on monte dans leur chambre, on est cuite ?
Donc désolée, monsieur Ferry, mais qu’on sorte de l’église un dimanche ou qu’on monte dans la chambre d’un homme à 3h du mat après une soirée dans un bar à putes, ça ne change rien : si je dis « non » et qu’il me force, ça s’appelle un viol, et le seul coupable, c’est lui.
Pour la millième fois : ce n’est pas une affaire de lieu ou de contexte, mais de CONSENTEMENT. Même à poil dans sa salle de bain, j’ai le droit de changer d’avis. Une femme n’est pas une voiture que vous louez et dont le corps vous appartient dès qu’elle entre dans votre chambre.
Ce n’est pas une affaire de lieu (« ce n’est pas l’église, hein ! » – allez donc dire ça aux victimes de prêtres pédophiles…), et ça n’a pas à l’être : où que vous soyez, rien ne vous autorise à forcer une femme à avoir un rapport sexuel avec vous. Dixit LA LOI.
Bref, M. Ferry a parfaitement raison sur la présomption d’innocence et l’indépendance de la justice, et c’est pourquoi il avait tout faux, en s’exprimant comme il l’a fait quand on l’a interrogé sur l’affaire Darmanin.
La prochaine fois que vous voudrez nous faire un laïus sur la justice et la présomption d’innocence, commencez par donner l’exemple en ne vous substituant pas au juge. Et si vous voulez vous rendre utiles, foutez-nous la paix avec vos clichés sur les putes et les chambres d’hôtel. Merci.