Condamnée à dix ans de prison pour le meurtre de son mari violent, Jacqueline Sauvage avait obtenu en janvier du Président une grâce partielle lui permettant de présenter une demande de libération conditionnelle. Celle-ci a été refusée à deux reprises. Ultime tentative pour la sauver : ses trois filles ont déposé hier à l’Elysée une demande de grâce totale.
Au fil des mois, la vague de soutien n’a fait que croître et Jacqueline Sauvage est en passe de devenir l’icône des femmes battues en France. Plus de 300 000 personnes ont signé la pétition réclamant sa libération.
Sous l’impulsion d’associations féministes, la défense juridique et médiatique de Jacqueline Sauvage a joué sur le seul registre de l’émotion. Résultat : aux yeux de tous, Jacqueline Sauvage est la victime innocente d’un tortionnaire, frêle mère de famille broyée par une machine judiciaire patriarcale. A grands coups de pétitions, hashtags, tribunes et clips vidéo, cette croisade médiatique est parvenue à reléguer les faits et le droit au second plan.
Dans un état de droit comme la France où la justice est fréquemment accusée de laxisme, comment se fait-il que Jacqueline Sauvage ait été déclarée coupable à deux reprises (en première instance et en appel) et que sa demande de libération conditionnelle ait été rejetée deux fois ?
Avant de hurler en chœur « Libérez Jacqueline Sauvage ! », jetons donc un œil aux faits. Pourquoi diable les juges s’entêtent-ils à maintenir une héroïne moderne en prison ?
#1 Parce que Jacqueline Sauvage n’a pas tué son mari en état de légitime défense
« Elle n’a fait que se défendre ! », « C’est de la légitime défense, son mari était dangereux ! »
Regardons de plus près. En France, la légitime défense est définie par l’article 122-5 du Code pénal :
N’est pas pénalement responsable la personne qui devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.
Autrement dit, un citoyen peut blesser ou tuer quelqu’un, si, face à un danger immédiat, il riposte de manière simultanée et proportionnée.
Jacqueline Sauvage a-t-elle tué son mari simultanément à un danger ? Non. Vers 16h, son mari la réveille de sa sieste, lui ordonne de préparer à manger et la frappe. Un coup à la lèvre est médicalement attesté. Jacqueline Sauvage dit à son procès que, prise d’une impulsion et sous l’effet de médicaments, elle part chercher son fusil, se dirige vers la terrasse et abat son mari de trois balles dans le dos en fermant les yeux. Les voisins, eux, entendent les coups de feu à 19h20. Chasseuse aguerrie, Jacqueline Sauvage a donc tué son mari bien après l’agression.
Jacqueline Sauvage était-elle obligée d’abattre son mari ? Non. Son mari était de dos et désarmé. Lorsque son épouse l’a abattu, il buvait son whisky sur la terrasse. En 3h, Jacqueline Sauvage pouvait fuir ou chercher de l’aide. Vers 17h20, le mari a été aperçu dehors par des voisins. L’épouse n’était pas séquestrée.
#2 Parce que Jacqueline Sauvage n’a pas pu être déclarée irresponsable de ses actes
Les avocates de Jacqueline Sauvage ont avancé que celle-ci avait tué son mari sous l’emprise d’un mélange de Stilnox et d’alcool, ce que ni les analyses toxicologiques ni les déclarations de l’accusée n’ont pu prouver : « Elle n’arrivait pas à répondre ‘oui’ alors que nous avions répété avec elle », soupirent ses avocates.
Autre argument de la défense : Jacqueline aurait agi sous l’emprise du SFB (Syndrome de la Femme Battue). Soumise à un climat de terreur et de violences répétées, la personne souffrant de ce syndrome se sent totalement piégée dans le cercle infernal de la violence et développe une peur légitime et constante d’être tuée.
Jacqueline était-elle enfermée dans une spirale de violence susceptible d’abolir son jugement au point de lui faire commettre un meurtre impulsif ? Rien n’est moins sûr.
L’enquête et le procès ont établi que Norbert Marot, l’époux de Jacqueline, était violent verbalement et physiquement. Mais au fil des témoignages, on découvre aussi une Jacqueline violente eu autoritaire. Une voisine affirme que son mari a été giflé et invectivé par Jacqueline. Cette même voisine décrit une Jacqueline « méchante et machiavélique » qui la suivait pour l’insulter au supermarché. Lorsque Jacqueline découvre que son mari a une maîtresse, elle n’hésite pas à la menacer, l’insulter et la frapper. Jacqueline a même poursuivi l’imprudente jusqu’à la gendarmerie où celle-ci s’était réfugiée.
Si Jacqueline Sauvage est capable de menacer quelqu’un et de le poursuivre jusqu’à la gendarmerie, pourquoi n’a-t-elle pas déposé la moindre main courante en 47 ans de violences ?
#3 Parce que Jacqueline Sauvage n’est pas Alexandra Lange
Jacqueline Sauvage est sans cesse comparée à Alexandra Lange, femme battue qui fut acquittée du meurtre de son mari en 2012. Alexandra Lange a apporté son soutien à Jacqueline Sauvage, et les deux femmes ont été défendues par les mêmes avocates. Sauf qu’Alexandra Lange a agi dans le cadre de la légitime défense : alors que son mari tentait de l’étrangler, elle a saisi un couteau de cuisine et l’a tué. La riposte était immédiate et proportionnelle, puisque c’était pour la victime le seul moyen de survivre.
Les féministes considèrent l’acquittement d’Alexandra Lange comme un « précédent » ouvrant la voie à une redéfinition de la légitime défense pour toutes les femmes battues. Il n’en est rien, le droit a été appliqué en toute rigueur. Pour Luc Frémiot, avocat général qui plaida avec force l’acquittement d’Alexandra Lange et ardent défenseur de la cause des femmes battues, « on ne peut pas comparer les deux affaires ». Dans l’affaire Sauvage, ajoute-t-il, on peut parler de « circonstances atténuantes très fortes du fait de ce qu’elle a subi, mais pas de légitime défense ».
#4 Parce que la relation de Jacqueline Sauvage à ses filles, principales témoins dans l’affaire, est pleine de zones d’ombres
L’essentiel de la défense repose sur le témoignage des filles de Jacqueline Sauvage, qui soutiennent leur mère de manière inconditionnelle. Jacqueline Sauvage et plusieurs témoins proches ont évoqué l’amour fou que Jacqueline portait à son mari. « J’aurais jamais dû connaître mon mari, soupire Jacqueline au procès. C’est de ma faute, je l’ai aimé, je l’ai toujours aidé ». Cet amour irrationnel explique peut-être pourquoi Jacqueline parvient à faire preuve de violence lorsqu’il s’agit d’évincer une maîtresse, mais pas pour protéger ses filles.
Au cours du procès, plus de trente ans après les faits allégués, les filles de Jacqueline Sauvage accusent leur père de viol.
Un ami de Norbert témoigne : « J’ai vu qu’avec ses filles, il avait des gestes… il leur pelotait les seins, les fesses. Elles avaient dix, douze ans. Je lui ai dit « qu’est-ce que tu fais ? ». Il m’a répondu « t’inquiète, je chahute avec elles ». Drôle de façon de chahuter ».
Fabienne, l’une des trois filles du couple, raconte avoir fugué pendant 2 mois à l’âge de 15 ans et demi, après avoir été violée par son père. Elle est rattrapée par les gendarmes et ses parents sont appelés pour la récupérer. Son père lui aurait hurlé : « Fabienne ! Leur dis rien, on est là avec ta mère pour venir te chercher ! ». Au procès, Fabienne dit avoir parlé du viol aux gendarmes puis déchiré sa plainte, à la suite de quoi le brigadier lui aurait « mis une gifle monumentale ». Dans ce récit, seule la fugue est avérée.
Rapporté par Le Figaro Madame, le témoignage de Carole pose lui aussi la question de la responsabilité de Jacqueline Sauvage.
« J’avais 24 ans et j’en ai eu marre, se souvient Carole. Il y avait encore eu un conflit, il avait tapé sur maman. Ce jour-là, j’ai dévoilé à une de mes belles-sœurs comment il était, ce qu’il m’avait fait. Il fallait que ça sorte. » Des années plus tard, la belle-sœur gaffe. La mère est mise au courant des viols de ses filles, persuadées qu’elle est restée « de nombreuses années dans l’ignorance ». Jacqueline Sauvage reste passive. Ne dit rien, ne part pas. Statu quo. Pascal, le fils, alors père de trois enfants, apprend à 40 ans les sévices subis par ses sœurs (…). Un jour, l’improbable se produit : « Le père est venu chez Pascal et a commencé à le frapper, raconte Carole. Il lui a balancé en pleine figure : « comment peux-tu vivre après ce que tu as fait aux filles ? »». Le tyran se tait et part. Il accuse Jacqueline : « tes connasses de filles ont été raconter des mensonges à Pascal », « il me traite de violeur ». « Jusqu’au bout il a été dans le déni et a soutenu à notre mère que c’était faux, il l’a endoctrinée », explique Carole. »
Trente ans après les viols allégués, il est difficile de démêler la vérité, mais malgré les quelques détails rocambolesques donnés par Fabienne, on ne peut s’empêcher de suspecter un fond d’inceste au sein de cette famille violente et dysfonctionnelle.
Comment Jacqueline Sauvage n’a-t-elle pas vu les gestes déplacés de son époux envers les jeunes filles ? Pourquoi n’a-t-elle jamais tenté d’interroger ses filles ? Plus souvent qu’on ne l’imagine, les mères peuvent-être les complices plus ou moins passives d’un père ou beau-père abusif. Jacqueline Sauvage est-elle de ces mères ? Ce qui est certain, c’est que le déroulement du procès ne lui a hélas pas permis de s’expliquer tout-à-fait sur ce point.
#5 Parce que les femmes et les hommes sont égaux devant la loi
L’affaire Jacqueline Sauvage est une tribune médiatique pour les avocates de l’accusée et pour toutes les représentantes du féminisme institutionnel. Me Janine Bonaggiunta et Me Nathalie Tomasini entendent faire de ce dossier un tremplin vers une évolution de la loi. Dans la lignée des revendications d’Osez le féminisme, Valérie Boyer a déposé un amendement réclamant la « présomption de légitime défense » pour les femmes battues homicides. Selon ces militantes, le syndrome de la femme battue placerait les femmes en situation de légitime défense permanente et offrirait aux femmes le droit de tuer leur mari à n’importe quel moment sans être condamnées.
Une telle modification du cadre légal de la légitime défense instituerait une inégalité sexuelle et instaurerait la loi du talion dans le droit français. Cela reviendrait à décréter que les femmes sont des êtres irresponsables, soumis à leurs émotions, et que toute violence offre le droit à la victime de se faire justice quand bon lui semble. L’enfer est pavé de bonnes intentions, et c’est une autoroute vers l’infantilisation des femmes que nous proposent ici les féministes.
#6 Parce que la justice considère que Jacqueline Sauvage n’est pas encore apte à réintégrer la société
L’immense vague de solidarité envers Jacqueline Sauvage a enfermé l’accusée dans un rôle de martyr de la cause des femmes battues, en décalage avec les zones d’ombre du dossier. Les juges en charge d’examiner sa demande de libération conditionnelle ont estimé que Jacqueline Sauvage continue « à se poser en victime tout en remettant en question l’élément d’intentionnalité », que « sa réflexion demeure pauvre et limitée puisqu’elle peine encore à ce jour à accéder à un réel et authentique sentiment de culpabilité » face à un meurtre qu’elle aurait pu éviter. La psychiatre qui a examiné Jacqueline Sauvage décrit « une personnalité avec une facilité relationnelle et affective, chouchoutée dans son enfance, des difficultés à trouver une autonomie affective ». Selon la même psychiatre, Jacqueline « a besoin d’aide pour remettre de l’interdit dans le passage à l’acte ».
Prise dans un tourbillon d’amour populaire et d’enthousiasme médiatique, Jacqueline Sauvage n’est pas prête à admettre la moindre responsabilité dans ce drame familial.
#7 Parce qu’une libération de Jacqueline Sauvage ne résoudra pas le problème de la prise en charge des femmes battues
Libérer Jacqueline Sauvage, c’est ouvrir la voie à la présomption de légitime défense, à cette « légitime défense différée » et illimitée dans le temps que prônent les féministes pour les femmes violentées. Pendant que l’on débat autour d’un pur non-sens juridique, on passe à côté de la réflexion sur les mesures et dispositifs d’aide aux femmes victimes de violences.
Pourquoi, sur les 216 000 femmes victimes de violences conjugales chaque année, 14% seulement portent-elles plainte ? Comment amener une femme à déposer plainte et à faire constater ses blessures lorsque celle-ci refuse, comme c’est souvent le cas chez les femmes sous emprise ? Comment fluidifier l’accès à la médecine légale pour attester des violences subies ? Quelles solutions proposer à celles qui ne peuvent quitter le foyer ? Quels dispositifs mettre en place pour éloigner un conjoint violent, menaçant ou harceleur hors du domicile ?
C’est là tout le paradoxe du procès Sauvage : la situation des femmes battues fait les gros titres, sans pour autant susciter un débat national sur les possibilités concrètes d’amélioration de l’aide aux victimes.