M., jeune mère de 24 ans que certaines d’entre vous ont pu entendre dans le podcast Radio Chaton qu’elle co-animait avec Solveig Mineo en 2018, livre son témoignage sur son harcèlement dans les milieux conservateurs dits “de droite”, qui eut des répercussions considérables sur sa vie et sa santé. Il n’y a pas encore eu de #MeToo à droite, alors que ce ne sont pas les affaires graves de harcèlement misogyne, de revenge porn et d’agressions sexuelles qui manquent dans ce milieu. Nous publions la seconde partie de son témoignage ici. La première partie est disponible en cliquant sur ce lien. Une traduction en anglais de son témoignage est également disponible. Nous savons d’avance la haine et le mépris que ce témoignage ne manquera pas de susciter. C’est en pleine conscience des risques que nous le publions, parce qu’il nous semble urgent de libérer la parole des femmes, qui se taisent depuis trop longtemps terrées dans la honte, laissant ainsi toute latitude aux harceleurs de poursuivre leurs violences en toute impunité.
Seconde partie
Mon histoire commence en 2017 : j’ai alors 21 ans et vis seule à Paris, où j’étudie. Cette année correspond à un moment très étrange de mon existence : ma mère étant décédée deux ans plus tôt, je deviens orpheline de mes deux parents. Cette tragédie, s’ajoutant à d’autres, me plonge tout droit dans le précipice, et je suis diagnostiquée dépressive mélancolique (il s’agit de la forme de dépression la plus sévère, où tous les symptômes de la maladie sont présents de manière exacerbée). À cette époque, je trompe l’ennui, la solitude et la déprime sur les réseaux sociaux, où je m’investis dans le militantisme et, de fil en aiguille, fait tout un tas de rencontres au sein de la “droite” parisienne.
Avec le recul, il est difficile de savoir ce que je fichais là. Si je devais dresser la sociologie des milieux dans lesquels il m’a été donné d’évoluer à Paris, je dirais qu’il s’agit moins de cercles militants que de clubs de bourgeois désœuvrés, macronistes déployant des efforts considérables pour être intégrés dans les “hautes sphères” de la société parisienne le jour, “dissidents” la nuit, dont l’activisme politique et métapolitique se résume plus ou moins à décharger une accumulation de frustration en ligne — frustration qui prend sa source dans le fait de vivre en permanence en état de dissonance cognitive, de vouloir être “d’extrême-droite” sans renoncer au confort matériel des beaux quartiers de Paris, ce qui implique nécessairement le sacrifice de son intégrité intellectuelle et morale sur l’autel d’une start-up bourrée de cons gauchistes…
De mon côté, disons simplement que j’ai grandi dans un milieu populaire, loin des costumes-cravates, des ballerines à talons et des médaillons à l’effigie de la Vierge Marie. Le contraste était d’autant plus accentué qu’il me plaisait de porter un style “gothique”, de me teindre les cheveux en noir et de me faire tatouer. Idéologiquement, le fossé qui me séparait de mes “amis” de la “droite” parisienne était aussi grand, si ce n’est plus, que celui qui séparait nos styles vestimentaires. Comme précisé dans la première partie de ce témoignage, ce qui m’avait amenée à me rapprocher des milieux “de droite” était en premier lieu la volonté de lutter contre les violences subies au quotidien par les femmes autochtones du fait des populations immigrées. Si j’étais également attirée par l’Histoire et les traditions européennes, cela n’en avait jamais fait de moi une réactionnaire, et je m’étais toujours présentée auprès de mes “camarades” comme féministe. En effet, si je rejetais fermement le féminisme dit de “troisième vague”, son intersectionnalité et son idéologie de la déconstruction, j’étais attachée à l’égalité en droits et en considération entre les hommes et les femmes en Occident. Au delà de la simple égalité en droits, j’étais fière de vivre dans une société où le destin des individus n’était pas pré-déterminé par leur sexe biologique, où les femmes pouvaient devenir ce qu’elles voulaient (y compris mères au foyer, ce qui est le choix que j’ai fait) et où les débats foncièrement misogynes d’un autre siècle (oserais-je dire d’une autre culture?) sur la virginité, l’apparence physique et la vie sexuelle des femmes appartenaient définitivement au passé. Originellement de sensibilité anarchiste, j’accordais une importance primordiale à la notion de Liberté, et si je pouvais concevoir un ordre établi, j’appréciais qu’il soit pragmatique et ne se mêle ni de religion ni d’idéologie.
En parallèle de ces rapprochements plutôt incongrus à Paris, je créais, sur les conseils d’un ami, un compte sur le réseau social Twitter, afin d’échanger plus facilement avec des personnes partageant mes sensibilités politiques ainsi que mes centres d’intérêt. Alors, en 2018, je fais la connaissance de Solveig Mineo, la figure de proue du féminisme occidentaliste. Très vite, je me rends compte que j’ai beaucoup plus de points communs avec elle qu’avec l’ensemble de mes “amis” de la “droite” parisienne; je me reconnais dans sa vision du féminisme axée sur la défense des intérêts des femmes occidentales, ni déconstructiviste, ni réactionnaire, dans son intérêt pour les civilisations européennes pré-chrétiennes (bien qu’étant à cette époque de confession chrétienne moi-même, ce dont Solveig ne m’a jamais fait le reproche) ainsi que dans sa défense inconditionnelle de la Liberté. Rapidement, nous devenons amies et échangeons nos expériences après plusieurs années de militantisme “à droite”: Solveig m’explique alors que son militantisme féministe de droite lui a causé bien des problèmes avec les réactionnaires, notamment catholiques traditionalistes, et qu’elle a pu faire l’objet de violentes campagnes de harcèlement menées par des personnalités toutes droit sorties d’un asile psychiatrique (on y reviendra) — cela dans le but de la réduire au silence et de l’empêcher de proposer une alternative à la “droite” réactionnaire classique et principalement catholique. Elle me raconte des histoires sordides de doxxing de membres de sa famille. Elle me dit qu’un catholique traditionaliste s’est vanté d’avoir diffusé son adresse à un individu qui tenait un compte Twitter relayant la propagande de Daech et qui se ventait d’avoir été convoqué par la police pour ses accointances avec cette organisation terroriste. Elle me prévient qu’elle est également la cible d’un rappeur catholique antisémite, tristement célèbre pour ses frasques mêlant drogue, séjours en prison et violences conjugales, que celui-ci s’est mis en tête de lui inventer des origines juives et maghrébines (je découvrirai plus tard qu’il s’agit d’une technique de déshumanisation classique de la “droite”: si le premier dingue venu proclame que vous n’êtes pas Européen — à fortiori que vous êtes juif — alors cela l’absoudra du comportement dégueulasse qu’il adoptera envers vous, et il sera libre de vous insulter, de vous calomnier, de vous harceler et de vous doxxer au mieux dans l’indifférence générale, au pire sous les applaudissements), et que la principale occupation de ce triste personnage est d’écrire des “articles” et de diffuser des vidéos diffamatoires sur les personnalités qu’il n’apprécie pas. J’apprends que l’hurluberlu dépeint mon amie comme une mère maquerelle “infiltrée” dans les milieux “de droite”, à la tête d’un réseau de prostitution occulte piloté par la haute-maçonnerie juive. Rien que ça.
“Mais… Personne ne peut décemment croire ça, si?”
Elle me répond que la vidéo en question a fait plus de 20 000 vues sur Youtube. J’espère alors sincèrement qu’il s’agit de types désœuvrés voulant se payer une bonne tranche de rigolade… J’apprendrai que ce n’est pas vraiment le cas, et que le microcosme de marginaux qui suit ce type est obsédé par l’ “infiltration”. Je me demandai alors: comment des gens qui n’ont jamais rien construit d’un tant soit peu conséquent pour lutter contre le système qu’ils prétendent vouloir renverser, que toute personne un minimum rationnelle prend pour des illuminés, et dont le seul danger qu’ils représentent est dirigé contre eux-mêmes, peuvent-ils avoir la prétention de croire que quelqu’un chercherait à les “infiltrer” ? L’ostracisation sociale, la boulimie de contenus conspirationnistes anxiogènes et l’enfermement dans des caisses de résonance où l’on échange seulement avec des individus foncièrement paranoïaques sont des éléments de réponse pertinents.
« La charia, mais sans les arabes »
De mon côté, je n’ai pas encore plongé assez profondément dans les abysses, mais j’ai tout de même quelques anecdotes à lui conter. J’ai en effet constaté depuis un certain temps la porosité des milieux dits “de droite” avec la manosphère et le masculinisme (voir la partie 1). Les gens que je fréquente, dans la réalité et sur les réseaux sociaux, me donnent l’impression d’être à mille lieues des préoccupations réelles de nos concitoyens: alors que la France est à feu et à sang et que la priorité absolue et évidente est de rendre notre pays sûr à nouveau, mes “camarades” semblent se complaire dans un militantisme de l’impuissance. Persuadés que l’Occident est en état de “décadence morale”, de “déliquescence”, de “péché mortel”, s’ils ne s’accordent pas tous sur les solutions, au moins s’accordent-ils tous sur le coupable: les femmes de leur propre sang. Pour certains, il faudrait que les hommes Européens se serrent les coudes avec les hommes arabo-musulmans aux valeurs “traditionnelles” contre les femmes blanches “décadentes”: l’Islam le plus rigoriste serait une source d’inspiration, un modèle pour l’Europe, et l’instauration d’une “Charia Blanche” (en gros, la même chose que la Charia, mais sans les arabes) la solution à tous nos problèmes. J’ai même lu un type s’interroger sur le fait de savoir si pour sauver l’Europe, il fallait légaliser le viol… Pour d’autres, il faudrait que les hommes européens délaissent les femmes de leur peuple au profit des femmes asiatiques, prétendument plus soumises [alors que les femmes Européennes qui choisissent un compagnon étranger méritent la mort], ou dans une version plus “soft”, qu’ils choisissent la voie du tourisme sexuel dans l’Europe de l’Est “traditionnelle”. Les femmes d’Europe de l’Ouest, quant à elles, devraient être livrées à leur sort au milieu de populations importées foncièrement misogynes, et mériteraient de se faire agresser, violer et massacrer si elles ont un jour eu le malheur, de façon parfaitement hypothétique, de “liker” une page Facebook faisant l’apologie de la diversité.
« Je me suis vite aperçue que l’intruse, c’était moi, et que les harceleurs étaient ici chez eux »
Toutes ces constatations nous ont amené à travailler ensemble sur deux podcasts au printemps 2018, l’un étant consacré à la tuerie de Toronto perpétrée par Alek Minassian et aux mouvements MGTOW (« men going their own way« ) et Incel (« involuntary celibate »), l’autre, dans la suite logique, à la porosité de cette manosphère avec les milieux dits “de droite”. Ces podcasts étant toujours consultables en ligne, je ne vais pas m’étendre sur leur contenu, mais sur les réactions violentes et complètement disproportionnées qui ont suivi. Il s’agissait, dans ces podcasts, de dénoncer des idéologies misogynes extrêmes portées par des communautés marginales, mais qui cherchaient sans cesse à faire de l’entrisme dans ce que j’estimais être ma famille politique. Au vu du harcèlement moral qui s’en est suivi et qui se poursuit encore aujourd’hui, plusieurs années après, de façon sporadique, du silence assourdissant de la majorité de mes “camarades” et de l’absence totale de soutien public des autres femmes du milieu (me disant pourtant en privé se reconnaître dans mon expérience et adhérer à mon discours), je me suis vite aperçue que l’intruse, c’était moi, et que les harceleurs étaient ici chez eux.
J’ai ainsi fait l’objet d’une campagne de doxxing absolument délirante sur les réseaux sociaux. Mes anciens “amis” de la “droite” parisienne m’ont tourné le dos et, comme des lâches, ont laissé mes cyberharceleurs anonymes faire le sale boulot en se contentant de leur transmettre des photographies privées provenant de mon facebook personnel – certaines étaient des photos d’adolescente, d’autres des clichés pris au cours de soirées, ce dans le but de me faire honte et de me dépeindre comme une *dégénérée ( *dans leur vocabulaire, cela est censé désigner une personne dépourvue de valeurs morales ayant des mœurs -notamment sexuelles- excessivement “libérées”. Dans les faits, cela désigne toute femme ayant eu une vie normale, ne satisfaisant pas leurs standards irréalisables de pureté) Ils leur ont également transmis mon nom d’état-civil, que j’ai dû faire changer suite à des menaces de violence physique dirigées contre moi et ma famille.
J’ai découvert des personnalités toutes droit sorties d’un mauvais film d’horreur ; en quelques mots, l’histoire de mon harcèlement au sein des milieux de “droite” pourrait se résumer à une plongée au coeur de la folie et de la misère sociale humaine.
J’ai ainsi eu l’immense privilège d’être la nouvelle cible d’un harceleur de longue date de mon amie Solveig, ce “rappeur” mentionné dans un précédent paragraphe. Véritable grenouille de bénitier outrancièrement antisémite, ce type voit dans l’antisémitisme et le catholicisme traditionaliste les moyens de se racheter auprès des franges les plus extrêmes de la “droite” de ses origines étrangères et de son passé de toxicomane. Dénoncé publiquement par son ex-compagne et mère de son enfant dans une vidéo ayant comptabilisé, au moment de sa suppression, plusieurs dizaines de milliers de vues, celle-ci s’est attachée à dépeindre sa personnalité profondément violente, instable (il est d’ailleurs connu pour ses séjours en prison ainsi qu’en hôpital psychiatrique) et paranoïaque, sans oublier la liste effarante des violences conjugales commises par ce triste individu sur sa personne en présence de leur enfant. L’homme visé par ces dénonciations s’est défendu lamentablement : il a confirmé la plupart des actes dont son ex-femme l’accusait et a tenté de les justifier en accusant celle-ci de… sorcellerie.
J’apprends ainsi de la bouche de ce curieux personnage que je n’ai jamais rencontré de ma vie que je suis juive (évidemment…), que mon compagnon est juif également et que nous faisons partie d’un club occulte de prostitution BDSM dirigé par — je vous le donne dans le mille — la Haute Maçonnerie juive. Pour appuyer ses dires: un site Internet parodique à la 50 nuances de Grey qui n’existe même plus à ce jour et qui ne nous concerne absolument pas, ledit site ayant été créé il y a plusieurs années de cela par une connaissance Internet que nous n’avons jamais rencontrée. Des photos d’une travailleuse du sexe ont également été diffusées en tentant maladroitement de la faire passer pour moi, mais l’opération a été un pétard mouillé (nous n’avions ni la même morphologie, ni les mêmes tatouages…).
Comme un malheur n’arrive jamais seul, une autre personnalité édifiante dont seul le “milieu” a le secret me prend en grippe. Il s’agit cette fois-ci d’un youtubeur râté qui, ne s’estimant pas reconnu à la hauteur de son génie, passe son temps à fomenter des théories du complot pour expliquer son manque de succès. En réalité, si personne ne l’écoute, c’est parce le sujet principal de sa chaîne — qu’il alimente régulièrement de lives de 11h (!) filmés avec un téléphone de mauvaise qualité et une connexion bas débit — consiste en la lutte contre la “putification” et le “dévoiement” des “femmes modernes”, et que cela n’intéresse personne de sain d’esprit. En effet, qui de normalement constitué aurait envie d’écouter quelqu’un lui expliquer 11h durant que sa mère, sa sœur, sa fille, sa copine et ses amies sont des “putes” pour tout un tas de raisons plus fantaisistes les unes que les autres (parmi lesquelles —et je jure que je n’invente rien— le fait d’avoir de l’acné, le fait d’aimer les bouledogues anglais, le fait d’être propriétaire de son cheval…) ? Mais, si ce cas psychiatrique avait une audience restreinte du fait de l’extrême longueur et de la qualité technique épouvantable de ses productions, il convient en revanche de souligner que ses obsessions et son idéologie n’ont rien d’exceptionnel : la chaîne youtube anglophone « Black Pigeon Speaks » dont tout le propos consiste à marteler que « les femmes détruisent la civilisation », « le féminisme a émasculé les hommes et « l’islam avait raison sur les femmes » a 547 000 abonnés sur Youtube et possède même un badge de certification. Son idéologie infuse toute la manosphère et plus largement les milieux réactionnaires.
Tout ce petit monde a ainsi passé des mois durant à me harceler sur les réseaux sociaux, à m’agonir d’insultes (sale pute, traînée, dégénérée, sale droguée, sac à foutre…), à écrire carrément des textes diffamatoires de plusieurs pages à mon encontre (dans lesquels ils s’agissait toujours de m’inventer une vie sexuelle et des activités occultes débridées), à diffuser des montages photos de mon visage à partir d’une vidéo filmée à mon insu dans un lieu public, coupées aux moments les plus désavantageux pour me faire passer pour “laide” et “grosse”, à me menacer de me harceler de manière encore plus violente si je ne me taisais pas et ne supprimais pas mes réseaux sociaux – lorsqu’on ne me menaçait pas carrément d’avoir recours à la violence… Lorsque je suis tombée enceinte en 2019, il s’est agi de s’en prendre à ma famille, en disant par que ma fille avait été conçue lors d’une “partouze” et que je ne connaîtrais pas l’identité du père de l’enfant… Entrer dans les moindres détails de mon harcèlement serait beaucoup trop long ; retenez simplement que ma santé mentale s’est dégradée de manière épouvantable et que mes harceleurs jouissaient de la situation, mes anciens “amis” ne s’étant pas privés de leur en faire état. Me sachant profondément dépressive, certains ne se sont d’ailleurs pas cachés de vouloir me pousser au suicide.
Les faux protecteurs
Plus affligeantes et profondément tordu esencore sont les réactions de ces faux amis, de ces faux protecteurs qui ont prétendu vouloir m’aider. Leur premier “conseil” a justement été de me déconseiller de porter plainte, en me disant que dans ces milieux, il était très mal vu de dénoncer un “camarade” auprès du “système” en se rendant à la police. J’apprenais ainsi que les femmes harcelées se devaient d’avoir une solidarité raciale envers les hommes blancs de “droite” harceleurs, car ceux-ci seraient déjà assez persécutés par le “système” comme ça (je croyais qu’il était de l’apanage des féministes que de se victimiser…) Ce même si ces “camarades” les insultent, les harcèlent, les diffament et les doxxent dans l’illégalité et l’impunité la plus totale. En revanche, peu de “camarades” se sentent solidaires des femmes victimes de harcèlement et osent prendre leur défense. On me conseille systématiquement de supprimer mes réseaux sociaux, de me “faire oublier”, si j’ose espérer avoir la paix. Etrange conseil venant de militants soi-disant inconditionnellement défenseurs de la liberté d’expression.
Ce qui suit est encore pire: en état de grande fragilité psychologique, isolée et embourbée dans mes problèmes, j’ai fini par gober les fadaises de ces faux amis qui ont réussi, par d’incroyables trésors de manipulation psychologique, à déplacer dans mon esprit la source de mon mal-être de mes harceleurs à mon mode de vie et mes convictions féministes :
“Le fait d’être féministe te rend malheureuse. Tu as été manipulée à croire que tu pouvais être l’égale des hommes, t’exposer publiquement et militer, alors que ce n’est pas ton domaine de compétences naturel. Tu vois bien où ça t’as menée (sous-entendu, c’est le fait de s’exposer, le problème, pas le harcèlement). Tout ça n’est pas fait pour les femmes, tu ferais mieux de te trouver un mari, fonder un foyer et t’accomplir dans l’éducation de tes enfants et le travail domestique. Tu seras beaucoup plus heureuse et apaisée.”
“D’accord, ce harcèlement est allé beaucoup trop loin, mais tu dois tout de même admettre que tu te dégrades… Tu ne devrais pas teindre tes cheveux, t’habiller comme ça, faire des soirées… Tu es assez intelligente et “rattrapable” pour changer et militer pour l’image de la vraie femme, la femme traditionnelle. On finira par te pardonner.”
C’est ainsi qu’embourbée dans la caisse de résonance de la “droite” réactionnaire, j’ai fini par me haïr pour des choses absolument triviales, qui n’auraient même pas fait hausser un sourcil aux gens normaux, à la majorité de la population: avoir adopté un style un peu provoquant durant mon adolescence et les premières années de ma vie étudiante, sortir en soirée, ne pas m’être “préservée” en vue du mariage, être tatouée, ne pas pratiquer assidûment de religion, boire des verres de temps en temps avec mes amis à 22 ans plutôt que de penser à me marier…
J’en suis arrivée à un tel niveau d’endoctrinement que je me demandais, au final, si mon harcèlement ne m’avait pas été bénéfique, en ce qu’il m’avait permis d’ “ouvrir les yeux”. Pire, j’étais désormais convaincue que j’avais quelque chose à me faire pardonner (pourquoi et auprès de qui??) que je devais me repentir.
Fait amusant : je ne serai jamais “pardonnée”, car les standards irréalisables de pureté prônés par ceux-là mêmes qui ne respectent pas 10% du cahier des charges sont une formidable excuse pour mépriser les femmes dans leur quasi-totalité. Le but n’est pas d’aider à s’élever en prêchant ce que l’on croit juste et bon, le but est de descendre l’autre, de le salir, de le souiller.
Ainsi, lorsque je suis tombée enceinte, mon compagnon et mon enfant à naître se sont faits salement insulter. Peu importe que je me sois “casée”, que j’aie renoncé à travailler pour m’occuper de mon foyer à plein temps, que je me sois mise à prêcher moi-même leurs insanités. Lorsque j’étais militante féministe, on cherchait à me faire taire car je refusais de prêcher la bonne parole réactionnaire et, lorsque ce fût le cas, on cherchait à me faire taire parce que “je me prenais pour ce que je n’étais pas”, que j’étais “pourrie à jamais”, “brisée”, “détruite” par le féminisme et un passé “libéré” largement fantasmé.
Je ne me suis jamais sentie aussi mal de toute ma vie. Ma confiance en moi s’est trouvée totalement brisée par des mois de harcèlement quotidien. J’étais minée par le décalage entre mes efforts effrénés pour réformer ma vie et ma façon de penser et le mépris et les insultes que je recevais. Je recevais des mails extrêmement menaçants de la part d’un individu qui tentait de me faire du chantage, en menaçant de divulguer des photos intimes (alors même que je n’en avais jamais transmis à des inconnus, mais j’étais devenue tellement paranoïaque que j’ai fini par croire que ça pouvait être vrai…) et des éléments de ma vie privée si je ne disparaissais pas des réseaux.
« S’ils ne peuvent pas avoir une femme, alors personne ne doit l’avoir »
En 2020, je vais mieux : je vis à la campagne, j’ai une vie de famille simple et heureuse, je me suis coupée des milieux politiques et de ces gens toxiques… J’ai toujours un compte sur Twitter, mais il n’est pas militant, et me sert principalement à échanger – surtout en anglais – avec d’autres utilisateurs partageant mes centres d’intérêts (paganisme, permaculture…)
Mais il serait faux de dire que ces cinglés m’ont foutu la paix. Mes harceleurs ont écrit aux utilisateurs avec lesquels j’échangeais régulièrement, racontant les pires horreurs sur mon compte, mentant éhontément sur mon identité, mes origines, ma vie, mon héritage, diffusant éternellement mes vieilles photos et autres diffamations délirantes destinées à me faire honte.
Je me suis alors fait une raison : l’obsession de mes harceleurs à mon endroit frise l’érotomanie, il y a quelque chose de profondément psychiatrique là dedans, et la découverte de certaines de leurs identités n’a fait que confirmer mes soupçons. Je découvre donc que certains sont des râtés auxquels j’ai mis un râteau, et qui estiment que s’ils ne peuvent pas avoir une femme, alors personne ne doit l’avoir, et il faut pourrir sa réputation en espérant que tous les hommes se comporteront comme eux, c’est à dire en cocus, car il faut vraiment en être un pour privilégier l’avis d’inconnus sous pseudo à l’envie que l’on a de construire quelque chose avec une femme qui nous attire…
Au milieu de ce freak show se trouve également une jeune femme plus âgée dont j’ai eu le malheur de fréquenter l’ami avant même qu’elle ne le rencontre, “féminine mais pas féministe”, mais qui ressemble, parle et se comporte comme un homme et qui, de part les dires recueillis auprès de connaissances communes, nourrit une jalousie morbide et maladive envers toutes les ex-copines de ses compagnons.
J’en étais là. Me pourrir l’existence à lutter contre la probatio diabolica, aka tenter de prouver quelque chose d’impossible, que l’on est pas quelque chose, ce auprès d’inconnus qui n’auront jamais aucune place dans mon quotidien. Me perdre dans d’interminables règlements de comptes dignes d’une classe de CM1… Tenter de démonter les délires de marginaux tout droits sortis de “Strip Tease” ou “Confessions Intimes”, sans jamais les avoir rencontrés de ma vie… J’ai perdu du temps et une énergie précieuse, et me suis sali l’âme à converser avec des rats d’égoût.
Mes conseils
Je souhaiterais éviter ça aux jeunes femmes qui lisent ce témoignage, et qui ont été, qui sont ou qui seront cyberharcelées, que ce cyberharcèlement prenne place dans les milieux de “droite” ou ailleurs. À vous, mes sœurs, je conseille:
• De n’accorder aucun crédit aux paroles d’inconnus sur Internet. Les trolls anonymes sont par définition immaculés: vous ne savez rien d’eux et vous ne connaissez pas leur parcours. Ils tentent de vous faire vous sentir misérable car ils ont très vraisemblablement une vie misérable en réalité (la découverte de l’identité de certains de mes harceleurs chevronnés a permis de confirmer cette intuition). Bloquez ces gens. Portez plainte et défendez vous judiciairement si vous le souhaitez.
• De ne jamais céder à l’intimidation. Premièrement car vous avez le droit inaliénable et imprescriptible d’exister, que ce soit sur Internet ou dans la vraie vie. Ce sont eux qui sont dans l’illégalité, qui doivent consulter un psychiatre et se cacher, pas vous. Les cyberharceleurs misogynes détestent les femmes qui ne veulent pas se taire et qu’ils ne peuvent pas contrôler ; ils passeront tôt ou tard à une autre victime, dès lors qu’ils s’apercevront que vous êtes un “cas désespéré”. Résistez. Au même titre que l’espace public n’appartient pas aux harceleurs de rue, Internet n’appartient pas aux cyberharceleurs non plus.
• Ne restez pas seule. Entourez-vous uniquement —j’insiste fermement— de gens qui osent vous soutenir en public. Les faux amis qui vous “soutiennent” et vous “conseillent” en privé, tout en continuant à graviter dans l’entourage de vos harceleurs, doivent être éliminés de votre cercle de connaissances. Ce sont peut-être même eux qui fournissent vos harceleurs en informations.
À toutes mes sœurs, je souhaite bon courage, du plus profond de mon cœur. Un grand merci de m’avoir lue.