Plusieurs sondages et articles de journaux sur « le cauchemar d’être mère » sont récemment parus dans les pays occidentaux. Ils font suite à l’étude « Regretting motherhood » menée par une sociologue israélienne. Comme son nom l’indique, cette étude avait pour but de montrer qu’une part non négligeable de femmes, bien qu’aimant leurs enfants, regrettent de les avoir eus.
En Allemagne, un sondage réalisé par Yougov paru en juin 2016 a donné un pourcentage assez déroutant de femmes mais aussi d’hommes qui disent regretter d’avoir eu leur(s) enfant(s). 19% de mères et 20% de pères ont répondu que, s’ils avaient aujourd’hui le choix, ils n’auraient pas d’enfant. Autrement dit, 1 parent sur 5, en Allemagne, aurait préféré ne jamais avoir d’enfant.
Plutôt que d’opposer à ces parents, en prenant un air béat, que « les enfants sont la plus belle chose au monde », « une femme est forcément heureuse quand elle a un enfant » et autres banalités qui ne les convaincront certainement pas, il vaudrait mieux considérer et tenter de traiter les causes de ces regrets. Il y en a deux, principalement : l’une est conjoncturelle, l’autre tient à la vision que les sociétés occidentales ont adopté de la vie.
Mères corbeaux et mères courage
La première source de regret, et la plus fréquemment mise en avant, repose sur l’entrave que peut représenter un enfant pour la carrière d’une femme.
C’est particulièrement vrai en Allemagne, où les femmes s’arrêtent habituellement de travailler pour élever leurs enfants. Si elles ne le font pas, elles sont mal vues et traitées de « Rabenmutter », littéralement « mère corbeau », qui signifie tout simplement que ce sont de mauvaises mères. De toute façon, les crèches, écoles maternelles et nourrices sont insuffisantes en Allemagne, et les enfants des écoles primaires terminent très souvent à midi, si bien que les femmes sont contraintes de cesser de travailler pour s’occuper de leurs enfants.
Ça l’est aussi en France, où les femmes qui cessent de travailler pour leurs enfants – au-delà des congés parentaux – sont pourtant très rares. Malgré les nourrices, crèches et écoles qui permettent aux femmes de poursuivre leur emploi, les enfants demeurent un frein à la carrière d’une femme, parce qu’elle ne peut et ne veut pas travailler plus d’un certain nombre d’heures par semaine, parce que sa carrière n’est plus sa priorité, parce que le simple fait de partir en congé maternité pour quelques mois est souvent mal vu par les supérieurs et les recruteurs.
Le problème vient donc de ce que la femme, dans la société contemporaine et surtout en France, est en réalité obligée de travailler, pour des raisons économiques. Là où, auparavant, le salaire du père permettait de nourrir une famille entière et nombreuse, deux salaires ne suffisent plus toujours, aujourd’hui, à entretenir cette même famille.
En dehors de ça, la contrainte sociale et l’évolution des mœurs imposent aussi aux femmes de travailler, ou du moins de faire des études : une jeune fille sortant de lycée ne pourrait pas affirmer qu’elle ne souhaite pas faire d’études, car elle n’a pas l’intention de travailler mais d’élever ses enfants. Cela paraîtrait parfaitement saugrenu, d’autant plus que l’âge moyen, pour un premier mariage, est supérieur à 30 ans.
Éternels adolescents ?
Mais cette raison ne suffit pas à expliquer les regrets des femmes, loin s’en faut : pour preuve, les hommes sont aussi nombreux à regretter que les femmes, alors que leur carrière est bien moins, voire pas du tout entravée par leur progéniture. La cause la plus profonde vient de la manière que l’on a, dans notre société contemporaine, de considérer la vie. Elle doit être un plaisir quotidien, un jeu permanent. Il faut absolument « profiter de la vie », jouir comme si c’était le dernier jour, etc. On entend fréquemment des gens, hommes et femmes, dire qu’ils regrettent leur enfance ou leur adolescence, où ils pouvaient jouer tous les jours, faire la fête, être insouciants.
Avec des enfants, on ne peut pas que jouer. On ne peut pas sortir faire la fête et revenir ivre à 5h du mat’, faire telle ou telle chose sur un coup de tête… Comme sur les tamagotchis : il n’y a pas de bouton off sur les enfants. On ne peut pas arrêter de jouer quand on en a marre. C’est de cela que se plaignent les parents allemands sondés par YouGov : leurs enfants entravent leur développement personnel et leur liberté.
Et si on grandissait un peu ?
Il faut impérativement sortir de cette vision infantile de la vie, abandonner la croyance en ce paradis perdu que serait l’enfance (et qui ne l’était pas, car il était, lui aussi, plein de contraintes). Il nous faut réapprendre à être adultes, à accepter les contraintes et les contrariétés. Ce qui ne signifie pas qu’il faut considérer la vie comme un bagne.
Nul n’a jamais prétendu qu’un enfant était une source de plaisir permanente. Mais il y a aussi un plaisir à transmettre, à accompagner la croissance d’un enfant. A cette joie bien supérieure aux jouissances des adulescents s’en joindront d’autres, qui n’appartiennent qu’à l’adulte : celle d’avoir montré par ses enfants qu’il s’était enraciné sur la terre et celle de se savoir continuer à vivre dans leurs souvenirs. Quant aux autres, mourant souvent seul, leur souvenir risque fort d’être aussi éphémère que leurs jouissances.